Comme plusieurs artistes de la photographie, Eva Mayer se montre intéressée par les thèmes de la disparition et de la mort. Sans doute est-ce en raison des caractéristiques même de la photographie. En donnant l’impression d’extraire le modèle du temps, de l’arrêter sur le chemin de son inéluctable destin, le cliché se présente comme un simulacre d’éternité. Mais il ne s’agit bien que d’un leurre puisque la photo n’isole pas l’être : elle s’institue au mieux comme sa trace.
C’est sur cette piste que s’avançait René Char, en affirmant qu’un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves et que seules les traces font rêver. Ce qu’aborde Char, ce n’est pas seulement la poésie, mais aussi l’œuvre d’art. Suivant cette réflexion, François Soulages place la photo comme trace créant une tension vers le rêve de celui qui sera spectateur de la photo. Chez Mayer, toutefois, le rêve intervient aussi avant la prise de vue, dans le rapport privilégié qu’elle entretient avec ses modèles. Car si la photographie est incapable de prouver en soi l’existence, se résignant à éprouver la perte de ce qu’elle représente et du mystère qui en subsiste, elle peut s’ouvrir à la fiction. La photographie ne fixe alors pas le sujet à un instant précis de son quotidien, mais le sujet rêvé à un instant de sa propre fable. Elle ne fixe pas l’être, mais elle le métamorphose, modifie son environnement, et cette transformation continue dès qu’on regarde la photo ou qu’on cherche à la raconter.
– Jean-François Caron